Une stratégie de marque est devenue essentielle dans le marketing du vin comme le souligne Kurt Egli, directeur de Badoux Vins. Le succès du Chasselas Aigle les Murailles de la maison aiglonne illustre concrètement cette réalité.
Vous œuvrez depuis 42 ans dans l’entreprise Badoux. Quel regard portez-vous sur l’évolution du marché du vin?
Le marché a fondamentalement changé. Progressivement les importations ont été libéralisées, soit facilitées, ce qui se traduit par une concurrence de plus en plus importante des crus étrangers. En parallèle, on constate une évolution du mode de consommation. Il y a une vingtaine d’années, 60 à 70% des ventes de vins avaient lieu dans les cafés et les restaurants. La consommation à domicile ne représentait alors que 25% des ventes. Aujourd’hui, cette proportion s’est complètement inversée.
Durant cette période, le consommateur a également changé. Comment cela se traduit-il?
Il y a beaucoup moins de fidélité vis-à-vis du producteur. Les consommateurs sont devenus « volages ». Leur attitude repose davantage sur le « zapping » et l’envie de nouveautés. Je distinguerais deux catégories de consommateurs. L’une est composée de clients qui recherchent des vins d’entrée de gamme et qui se traduisent par une certaine banalité. Dans l’autre, au contraire, les consommateurs désirent du haut de gamme, ce qui ne veut pas forcément dire des vins onéreux, mais des produits de qualité, originaux et qui correspondent à leurs goûts. Globalement, je redoute qu’à l’avenir le vin « industriel » arrangé aux goûts des consommateurs prenne de l’ampleur, car il n’a plus de rapport avec le vin de terroir.
Qu’en est-il du marketing dans un marché en pleine mutation?
Il y a eu ces dernières années une prise de conscience de l’importance de la marque. Il faut, bien sûr, que celle-ci s’appuie sur le produit, mais la promotion d’une marque est différente de celle d’un vin. Les Américains, notamment, nous ont montré qu’il nous fallait une approche nouvelle. Il y a 40 ans, en Suisse, le marketing du vin n’était pas intégré dans une démarche structurée, et les rares producteurs qui en faisaient n’en étaient pas véritablement conscients. Face à la concurrence internationale, il était nécessaire de se repositionner. Certains acteurs du marché n’ont toujours pas compris les enjeux, tandis que d’autres reconnaissent l’importance du marketing et l’intègrent dans leur stratégie. Je pense, par exemple, à l’étiquette qui est devenue primordiale pour se différencier. Pour ma part, je pense qu’il faut cependant rester raisonnable dans la création graphique, car le vin est et reste un produit de tradition.
Votre vin Aigle les Murailles est le Chasselas le plus célèbre et le plus vendu en Suisse depuis de nombreuses années. Quels sont les secrets de cette longévité?
L’entreprise Badoux et surtout la deuxième génération a pris conscience avant les autres qu’il faillait être très exigeant. Car le public n’est pas dupe. Un bel emballage sans un produit de qualité ne fonctionnera pas sur la durée. Cette politique a été mise en place dès les années 50 et se poursuit aujourd’hui. Après il y a dans le marketing des coups de génie. Dans notre cas, c’est la reconnaissance du produit par le biais du lézard qui s’est imposé comme le symbole emblématique de notre société. Il est devenu un signe distinctif dont le rayonnement va au-delà du produit phare.
Comment vous positionnez-vous en terme de prix face aux vins étrangers?
Il ne faut pas hésiter à se positionner au juste prix. L’Aigle les Murailles représente le luxe… abordable. Nous ne pouvons pas concurrencer les vins étrangers par le prix, mais par la différenciation. Notre produit, nos produits se distinguent des autres et sont uniques.